Vie Artificielle





Fourmis
 

 

    1- Richard Dawkins et l'invention des Biomorphs.
2- Biomorphs.



Biomorph Viewer 1.1

Biomorph Viewer est une applet de génération de biomorphs tels que définis par Richard Dawkins.

On illustre ici la puissance du processus de sélection cumulative.


  1- Richard Dawkins et l'invention des Biomorphs.

     Biomorph Viewer est un générateur de Biomorphs tels que définis par R. Dawkins1  dans son ouvrage "L'horloger Aveugle".

    Dawkins introduit son raisonnement par référence au théologien William Paley (1743-1805) qui dans sa célèbre Théologie Naturelle de 1802   pose un raisonnement qu'on pourrait illustrer ainsi :

    Imaginez que vous êtes transporté sur la lune. Au cours de votre exploration, votre pied heurte un caillou, vous penserez naturellement qu'à-priori, cet objet est naturel, qu'il a toujours été là. Un peu plus loin vous trouvez un objet inconnu, à la forme géométrique affirmée. Son étude montre un mécanisme délicat et complexe. Immédiatement vous penserez qu'une forme de vie intelligente a créé cet objet et l'a égaré ici.

    Pour Paley, le raisonnement selon lequel la Vie sur terre relèverait d'un phénomène naturel est aussi absurde que celui qui consiste à penser que la montre trouvée sur un chemin ou l'objet complexe rencontré sur la lune, sont apparus naturellement, sans l'intervention d'une quelconque entité intelligente. La complexité des êtres vivants en général et de l'homme en particulier est la preuve irréfutable de l'existence d'un Créateur : une forme d'intelligence, est à l'origine de cette complexité, à l'origine de la vie.

    En 1859, avec L'Origine des Espèces, Darwin a montré que, contrairement aux affirmations de Paley, la complexité du vivant peut s'expliquer sans recours au Créateur. L'exemple de l'oeil, célèbre entre tous, va nous aider à comprendre ces raisonnements opposés.

 

eye_anatomy.jpg (14222 bytes)

 

    L'oeil humain est un système optique d'une grande complexité ; son fonctionnement, même si l'on se cantonne à une description élémentaire, suppose une parfaite adéquation entre plusieurs composants complexes :

    L'iris, équivalent du diaphragme de nos appareils photos, régule la quantité de lumière reçue. Le cristallin, équivalent de l'objectif, est une lentille biconvexe qui a la propriété de se déformer pour ajuster la mise au point (réglage de la focale). La rétine, soit la pellicule, contient quelques 125 millions de cellules photosensibles (comparez cette valeur à la résolution de votre appareil photo numérique). Elle reçoit - indirectement - une image parfaitement nette, grâce au bon fonctionnement des deux autres organes décrits, assure un pré-traitement et envoie l'information visuelle au nerf optique à fin de traitement définitif par le cerveau.

    Un tel système ne peut fonctionner qu'à l'état achevé. Le dysfonctionnement d'un seul des composants entraîne une vision imparfaite, soit une image non reconnaissable, voire pas de vision du tout.

    Dans ce contexte, il apparaît très difficile d'expliquer l'apparition de l'oeil dans un cadre évolutionniste. Puisque le système n'est fonctionnel qu'à l'état achevé, que l'évolution ne peut procéder que par micro-mutations2, comment imaginer une chaîne complète, conférant un avantage évolutif strictement croissant, allant de l'absence de perception visuelle à l'oeil moderne ?

    Pour les tenants des approches alternatives, cette chaîne n'existe tout simplement pas, elle n'est pas possible : la probabilité de coévolution des composants de l'oeil, dans le strict respect de l'avantage évolutif, est trop faible pour pouvoir être acceptée.

    Pour Darwin, qui s'est penché sur le cas de l'oeil dans la partie "Difficultés de la Théorie" de son texte fondateur, cette chaîne doit exister, même si les archives fossiles n'en permettent pas la reconstitution. Ce cas interroge néanmoins fortement Darwin. C'est au cours de son traitement qu'il a écrit cette fameuse phrase ayant fait le bonheur des créationnistes : "Si l'on arrivait à démontrer qu'il existe un organe complexe qui n'ait pas pu se former par une série de nombreuses modifications graduelles et légères, ma théorie ne pourrait certes plus se défendre."3.

    Dawkins est un des chantres de l'évolution. Pour lui, cette fameuse chaîne existe. Mieux encore, on peut en reconstituer les principales étapes.

    Dawkins commence par rejeter le raisonnement selon lequel un oeil incomplet est un organe inutile. A son sens, "5 % d'oeil valent mieux que pas d'oeil du tout". Imaginons le premier organisme doté de composants photosensibles. Ces composants sont très imparfaits, ils lui permettent à peine de distinguer des variations de luminosité. Pourtant, ils sont suffisants pour que - une fois, deux fois.... - il puisse échapper à ses prédateurs. A partir de là, le mécanisme de la Sélection Naturelle pourra jouer son rôle.

    Si 5 % d'un oeil confère un avantage évolutif, il doit être possible de trouver, encore à l'heure actuelle, des organismes dotés d'yeux "incomplets". C'est bien ce que montre Dawkins, de nombreux animaux (invertébrés essentiellement) sont dotés d'yeux n'ayant que quelques uns des composants de l'oeil moderne. Certains unicellulaires disposent d'un simple "point sensible"; des mollusques disposent d'une couche de cellules photosensibles disposées dans une cuvette, ce qui leur permet d'avoir une idée de la direction de la lumière. Les nautiles sont célèbres pour leur oeil "vide" : disposant de l'essentiel des composants d'un oeil moderne, il n'a pas de cristallin et se présente donc sous la forme d'une poche ouverte dans laquelle l'eau circule4.

    D'après Dawkins, il existe donc une chaîne complète de micro-évolutions qui conduit de l'absence d'oeil à l'organe que l'on connaît. Pour lui cette dynamique peut s'interpréter comme relevant d'une fonction continue : on peut parfaitement  imaginer une série de mutations - toujours plus petites - qui permette de passer d'un état à un autre.

    L'analyse de Dawkins est très convaincante. Qu'il s'agisse de l'oeil, de l'aile ou de l'écholocation, sa présentation d'une chaîne continue de micro-mutations toujours favorables apparaît pleinement crédible. On relèvera toutefois deux grands types de critiques  :

    - Il est difficile d'accepter que l'on puisse considérer des "mutations toujours plus petites" tout en admettant qu'elles soient systématiquement porteuses d'un avantage adaptatif suffisant pour que puisse jouer pleinement la Sélection Naturelle.  Si 5 % d'un oeil permet par exemple de se faire une idée de la direction de l'objet vu, alors que 2 % ne permettait que de distinguer une variation d'intensité lumineuse, on peut croire que l'individu porteur de cette mutation dispose d'un avantage suffisant pour le transmettre en beaucoup plus forte quantité que les autres individus. Mais si le sixième pour-cent n'apporte qu'une très légère amélioration du sens de la direction, est-il crédible d'admettre que cet avantage sera suffisant pour se transmettre ? Et, si l'on suit le raisonnement de Dawkins, qu'en sera-t-il du passage de 6 % à 6.01 % ?

    - Il existe des cas où l'existence même de la chaîne est impossible. On citera à la suite de Denton5 le cas des capsides virales qui sont soit cylindriques, soit en forme d'icosaèdres. Ces formes sont parfaitement expliquées à partir d'une simple application des lois de la physique. En revanche, il n'existe pas de structures intermédiaires permettant de passer de l'un à l'autre, toute structure intermédiaire étant instable. On peut également, à titre d'illustration , citer le cas du poumon aviaire6. Chez les vertébrés, l'air entre et sort des poumons par les mêmes voies, circulant une fois dans un sens, une fois dans un autre. Dans le cas des oiseaux, il existe un mécanisme complexe assurant un sens de circulation unique. Là encore, ce système nécessite le parfait fonctionnement simultané de plusieurs composants. Sans entrer dans les détails, et considérant l'importance d'un quelconque dysfonctionnement du système respiratoire, comment décrire la chaîne parcourue du poumon classique au poumon aviaire ?

    Ces critiques sont fondées. Elles montrent que la Théorie de l'Évolution, à son stade actuel, reste incomplète. Elle n'en demeure pas moins, et de loin, la plus féconde et probablement la plus proche de la réalité, de toutes les théories scientifiques proposées pour expliquer  l'histoire et la complexité de la vie.

2- Biomorphs.

    Le programme Biomorph qu'a développé Dawkins est une démonstration de la puissance des micro-mutations et de la sélection cumulative, il y a consacré le troisième chapitre de l'Horloger Aveugle.

    Dawkins est parti d'un algorithme récursif classique : à chaque itération  un nouvel embranchement est généré. L'objectif ici était de générer des formes d'arbres : partant d'un tronc, à chaque itération correspond une sous-branche. L'utilisation de Biomorph a rapidement montré que l'algorithme n'était aucunement limité à la réalisation de différents arbres (sapin, pommier...), mais que l'on pouvait générer toutes sortes de formes, biologiques ou non. Dawkins a ainsi été très surpris de découvrir un Biomorph insectoïde avant de voir apparaître des avions, des chauves-souris, des candélabres...

    L'utilisation de Biomorph est élémentaire : l'oeil de l'utilisateur joue le rôle de la Sélection Naturelle. Partant d'une forme donnée, l'utilisateur va sélectionner systématiquement le Biomorph dont la ressemblance - très ténue au début - est la plus forte avec la forme recherchée. Au bout d'un certain nombre de générations, le résultat approchera réellement l'objectif.

    Biomorph permet ainsi de se déplacer à travers l'espace génétique (en l'occurrence un hypercube à 9 dimensions), afin de trouver le génome qui correspond le mieux à la forme recherchée. L'espace génétique de Dawkins contenait 500 milliards de combinaisons. Par le jeu de la sélection cumulative, il a cherché à montrer la possibilité de découvrir rapidement le génome recherché au sein de cet espace.

    La notion de sélection cumulative est très simple à comprendre :

    Prenons le cas de la recherche d'un code de carte bancaire. Partant de zéro, vous avez une chance sur 10.000 de trouver le bon code du premier coup, au coup suivant, il vous restera une chance sur 9.999 etc...

    Imaginons maintenant qu'à chaque fois qu'un des 4 chiffres est correct, le son émis par le distributeur soit différent et que vous en soyez donc informé. Il vous faudra au maximum 10 essais pour trouver chacun des chiffres : au bout de 40 essais, vous avez la certitude de trouver le code recherché.

    L'espace à parcourir dans le second cas est très fortement réduit. Il en va de même pour la sélection cumulative ; à chaque itération sera sélectionné le Biomorph le plus proche de la forme recherchée. Le parcours qui conduit du premier composant biologique photosensible à l'oeil moderne est identique : à chaque génération c'est la structure la plus efficace (et en ce sens la plus proche de l'oeil moderne) qui sera sélectionnée. Il n'est donc nul besoin de poser l'improbabilité de l'émergence spontanée d'un oeil complet : on ne recherche pas l'ensemble du code de la carte bancaire, on sélectionne progressivement chacun de ses composants.           


1- R. Dawkins, L'Horloger Aveugle, R. Laffont, 1989. Édition originale : The Blind Watchmaker, Longman Scientific & Technical, 1986.

2- Les récents progrès de l'embryologie, et notamment du rôle des "gênes Hox" ont montré l'existence de macro-mutations. C'est là une évolution fondamentale. Cf : Chaline J., Les Horloges du vivant. Un nouveau stade dans la théorie de l'évolution ?, Hachette, 1999.

3- Darwin C.R., L'origine des espèces, Flammarion, 1992, p.241ss.

4- L'absence de cristallin chez le Nautile pose un problème aux évolutionnistes : pourquoi cet animal doté d'un organe quasi-parfait n'est-il pas parvenu à "découvrir" le cristallin, pourtant si commun ?

5- M. Denton, L'évolution a-t-elle un sens, Fayard, 1997, pp. 469 ss.

6- M. Denton, Évolution, une théorie en crise, Flammarion, Champs, 1992, pp. 217 ss.


Jean-Philippe Rennard    Janvier 2000
http://www.rennard.org/alife
alife@rennard.org

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Dernière Mise à jour: 6 May, 2006